Hervé PILLAUD | Manifeste d’agriculture collabor’active
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Manifeste

Manifeste d’agriculture collabor’active

Beaucoup s’accordent à penser que nous sommes à une bifurcation de civilisation comme l’humanité en a peu connu. Le monde est engagé dans toute une série de mutations extrêmement profondes, si profondes qu’elles remettent en question tout notre modèle sociétal patiemment édifié depuis près de deux siècles. L’agriculture n’échappe pas à ces changements, elle en est peut-être même un des prémices ?

 

Une évolution est inéluctable et l’agriculture peut y jouer un rôle essentiel. Chacun peut choisir délibérément d’être acteur ou spectateur. La seule question qui soit est de savoir si on désire agir ou subir la renaissance qui se dessine ?

Dans mon premier ouvrage : « Agronuméricus internet est dans le pré », j’ai voulu montrer comment le numérique entrait dans l’agriculture que ce soit dans la gestion des exploitations, la technique, la communication ou encore le conseil et la formation. Dans le deuxième essai, « Agroeconomicus manifeste d’agriculture collabor’active » je me suis projeté dans l’avenir pour esquisser comment l’agriculture va devoir entrer dans l’ère du numérique.

 

 

De 1880 à nos jours l’agriculture a vécu une révolution comme aucun autre secteur économique et social n’en a connu : en France, nous sommes passés de plus de 70% de la population active à tout juste 2% en multipliant par 10 la productivité. Nous évoluons désormais dans un monde globalisé où les besoins ne sont pas forcément en adéquation avec les capacités de production dans l’espace et dans le temps. S’il s’agit bien d’une révolution verte qui s’est déroulée au cours du 20ème siècle, il faut admettre que les révolutions ne tombent pas du ciel ; elles n’apparaissent pas mystérieusement. Elles sont le fruit de conditions particulières, réunies à un moment de l’histoire, où des séries de mutations radicales s’imposent. C’est la rupture, à la fois industrielle et politique, qui a suivi 1789 qui a fait muter la société. L’agriculture n’a pas adoptée ces évolutions au même rythme, elle le fera bien plus tard. Au fil du temps, elle a su, pour s’adapter, adopter les technologies nécessaires jusqu’à celles du numérique.

 

Nous entrons dans un nouveau cycle de mutation, mais est-ce les nouvelles technologies qui font évoluer la société, ou est-ce l’évolution de la société qui capte les nouvelles technologies dont elle a besoin pour mettre en œuvre les mutations profondes qui sont en train de s’opérer ? L’agriculture saura-t-elle épouser ces mutations de la société ? La question est posée.

Plateformes et blockchains sont les outils de cette mutation.  Les plateformes sont des interfaces d’intermédiation ouvertes. « Plateformiser » implique de revoir intégralement le fonctionnement de l’écosystème, que ce soit pour l’entreprise, les institutions ou même la vie de la cité. La blockchain va permettre la suppression de tiers de confiance, elle sera génératrice d’économies, d’horizontalisation des process, de sécurisation de la vie privée. La confiance en sera renforcée parce qu’élargie au réseau : la décentralisation devient protectrice, la gestion des droits plus équitable.  Nous entrons dans une société de réseaux, plateformes et blockchain en sont les instruments. Nous pouvons apercevoir les contours d’une société du bien commun, plateformisation et blockchain seront les piliers. Ils ne doivent pas être pensés comme une révolution mais comme les dispositifs d’un monde entré en révolution. La révolution verte et le développement des structures agricoles au milieu du 20ème siècle se sont faits dans cet esprit du bien commun avant d’épouser les contours d’une société urbaine, nationale et industrielle. Au moment où toute une série de disruptions de plus en plus brutales sont en train de devenir les instruments privilégiés de changements sociétaux radicaux, saurons nous à nouveau nous adapter ?

L’agriculture devra intégrer de nouveaux fondamentaux sur le plan environnemental, économique et social. La désintermédiation rendue possible par la blockchain et les plateformes ouvre le champ à de multiples potentialités. Ce futur possible, c’est celui d’un monde plus horizontal où l’agriculture sera partie prenante. Les technologies qui se présentent à nous permettent de mobiliser l’intelligence collective et de rompre avec les logiques pyramidales en œuvre dans nos sociétés. Le principe de coopération sur lequel s’est fondé le développement de l’agriculture devrait reprendre tout son sens, cette fois en y associant un nombre d’acteurs jamais atteint. Il nous faut retrouver nos fondamentaux. Retrouver nos fondamentaux, c’est cultiver le réseau, privilégier le collectif et le collaboratif. L’agriculture est un puzzle de micro entreprises diverses et variées. Le réseau est dans les gènes de l’agriculture et plus globalement du monde rural. Si les réseaux restent fondamentaux, leur structuration évolue. Nous ne devons plus penser réseaux structurés, mais collaboratifs et maillés. Le temps n’est plus à intégrer les plateformes de mise en réseau dans nos organisations, mais de penser nos réseaux au travers de plateformes et de blockchains.

Nous ne devrions plus nous penser comme une société urbanisée, nationale et industrielle mais nous penser comme une société en pleine redéfinition et qu’on ne pourra requalifier qu’en toute fin de cycle. La démographie, le climat et l’environnement, sont les trois grands défis du 21ème siècle. Ces trois éléments sont indissociables, ils seront les grands challenges d’une société mondialisée de 10 milliards d’habitants. L’agriculture dans sa diversité sera au cœur de ces défis. Nous sommes passés en trois générations d’une agriculture autarcique à une agriculture industrieuse, créatrice de valeur ajoutée. Dans les années soixante, nos aînés n’ont eu d’autre choix que de sauter du bocal pour aller chercher une eau plus fraîche et plus nourricière dans un bocal plus grand. Les agriculteurs ont toujours fait preuve d’adaptabilité pour y arriver. C’est à nouveau un véritable saut de grenouille, « leapfrogging » disent les Anglais, que l’agriculture va devoir réaliser dans les années qui viennent.

C’est ce que j’essaie d’esquisser au travers de mes essais et de mes conférences. Si Agroeconomicus est un manifeste, il l’est pour ouvrir les pistes d’un futur possible ou l’agriculture n’aura d’autres choix que d’être collaborative et où les agriculteurs seront des acteurs essentiels. Malgré la crise récurrente et la morosité ambiante, je reste résolument optimiste, je sais que nous allons encore une fois réussir !

Une évolution est inéluctable et l’agriculture peut y jouer un rôle essentiel. Chacun peut choisir délibérément d’être acteur ou spectateur. La seule question qui soit est de savoir si on désire agir ou subir la renaissance qui se dessine ?

En ce qui me concerne, j’ai décidé d’agir !

HP